Archives mensuelles : août 2025

Une Histoire de Partage (13) : Nelson Mandela en prison enseignait à ses codétenus.

📎 Et si enseigner le droit devenait un acte de résistance… même en prison, même avec presque rien ?

Durant ses 27 années de détention, dont 18 passées sur l’île-prison de Robben Island, Nelson Mandela n’a pas seulement survécu. Il a transmis. Avec ses codétenus, dans les cours de promenade, les ateliers de travail forcé ou les cellules étroites, il a partagé ses connaissances en droit, en politique et en stratégie.

Ce travail discret, presque invisible pour le monde extérieur, a contribué à former une génération entière de militants sud-africains, en leur donnant des outils pour comprendre, contester, négocier, et reconstruire.


📚 Une éducation clandestine malgré la censure

Robben Island n’était pas un lieu de réhabilitation. C’était un espace de punition, conçu pour briser la volonté des opposants politiques. Les prisonniers du Congrès national africain (ANC), comme Mandela, y étaient astreints à des travaux pénibles et privés d’information.

L’accès aux livres et aux journaux était strictement limité. Les gardiens censuraient les lettres et contrôlaient les échanges. Et pourtant, une véritable école informelle s’est mise en place. Mandela et d’autres prisonniers expérimentés formaient leurs camarades : droit, histoire politique, organisation collective.

Avec une pointe d’ironie, beaucoup d’entre eux ont surnommé cet effort l’« université de Robben Island ».


🧠 Un savoir pour préparer l’avenir

L’objectif n’était pas seulement d’occuper le temps. Ces enseignements visaient à préparer les détenus à jouer un rôle actif après leur libération :
– devenir des cadres politiques,
– se défendre face aux autorités,
– diffuser une culture des droits au cœur d’un système fondé sur l’injustice.

Certains, analphabètes à leur arrivée, ont appris à lire et écrire grâce à la solidarité de leurs camarades. D’autres sont sortis capables de négocier, d’argumenter, de concevoir des stratégies collectives.

Ce savoir transmis dans l’ombre a nourri la transition pacifique vers la démocratie.


🌍 Des effets bien au-delà des barreaux

Il n’y eut pas de salles de classe officielles, ni de reconnaissance publique. Mais cette formation souterraine a façonné une élite politique capable de construire, en 1994, une Afrique du Sud fondée sur une constitution démocratique et l’état de droit.

La fin de l’apartheid s’est certes jouée dans les négociations de dernière minute, mais elle s’est aussi préparée, patiemment, derrière les murs de Robben Island.


💬 Une leçon toujours actuelle

Ce qui s’est passé à Robben Island rappelle une chose : transmettre un savoir, même dans la clandestinité et avec presque rien, reste l’un des actes les plus puissants de transformation sociale.

Dans nos vies quotidiennes, cela peut nous inspirer :
– partager un savoir avec quelqu’un qui n’y a pas accès,
– expliquer ses droits à une personne vulnérable,
– écrire ou diffuser un contenu utile, même modeste,
– prendre le temps de former, sans attendre de reconnaissance.

Apprendre est une liberté. Enseigner, c’est la multiplier.
Et même dans les pires conditions, une simple discussion ou une phrase écrite à la main peut devenir un outil d’émancipation.

Voilà peut-être l’une des traces laissées par Mandela à Robben Island : le savoir est une force que même les barreaux ne peuvent retenir.

Une Histoire de Partage (12) : les cours gratuits de Maria Montessori

👩‍🏫 Et si offrir une formation gratuite à des parents pauvres pouvait transformer une société entière ?

Au début du XXe siècle, Maria Montessori, médecin et pédagogue italienne, développe une méthode éducative nouvelle. On connaît souvent ses classes, son matériel, son approche de l’autonomie. Mais on oublie que l’un de ses principes fondamentaux était aussi social : rendre l’éducation accessible aux enfants les plus défavorisés, en formant gratuitement leurs parents.


🏘️ Une pédagogie née dans un quartier pauvre

La première Casa dei Bambini ouvre en 1907, dans le quartier ouvrier de San Lorenzo, à Rome. Le public est clair : des enfants de familles très modestes, peu ou pas scolarisés, souvent considérés comme inéducables.

Montessori y expérimente une approche centrée sur l’enfant, l’observation, le respect du rythme individuel, et l’utilisation de matériel sensoriel. Les résultats surprennent : les enfants développent une grande concentration, un goût pour le travail bien fait, et une véritable autonomie.

Mais Maria Montessori comprend très vite que l’école, à elle seule, ne suffit pas. Si l’environnement familial reste instable, ou si les parents n’ont pas accès à une compréhension des besoins de leurs enfants, les effets positifs de l’école risquent de s’effacer.


🧩 Former les parents, gratuitement et sans conditions

Montessori organise alors des sessions de formation gratuites pour les familles pauvres, en particulier les mères. Elle leur explique comment accompagner l’enfant à la maison, comment l’aider à devenir autonome, comment éviter les punitions arbitraires, comment encourager la curiosité naturelle.

Ces formations ne sont pas techniques ni scolaires. Elles sont pratiques, fondées sur l’observation et l’échange. Surtout, elles ont un objectif clair :

aider les parents, même très modestes, à devenir des partenaires actifs dans le développement de leur enfant.

Ce choix est radical pour l’époque, où l’éducation était souvent réservée à une élite, et où les familles pauvres étaient perçues comme défaillantes ou ignorantes. Montessori affirme au contraire que toute famille mérite un accès au savoir éducatif, sans sélection.


🌍 Un impact mondial

Le projet social de Maria Montessori a eu des répercussions bien au-delà de l’Italie. Dès les années 1910, elle forme des éducateurs dans plusieurs pays et insiste, dans chaque contexte, sur l’inclusion des familles pauvres dans le processus éducatif.

Cette orientation se retrouve encore aujourd’hui dans :

  • les écoles Montessori communautaires en Inde,
  • les programmes d’éducation parentale dans les quartiers défavorisés,
  • ou les centres de formation gratuits pour familles sans ressources.

Ce modèle a contribué à faire évoluer la perception du rôle des parents dans l’éducation, et à rendre la pédagogie accessible à ceux qui en étaient traditionnellement exclus.


💬 Une morale toujours d’actualité

L’exemple de Maria Montessori nous rappelle une chose essentielle :
le droit à une éducation de qualité ne devrait jamais dépendre du niveau de revenu.

Et cela va plus loin :

partager un savoir éducatif avec quelqu’un qui n’en a pas les moyens, c’est un acte de justice.
croire que chaque parent peut apprendre, c’est refuser de figer les inégalités.
proposer gratuitement ce que l’on sait, c’est faire circuler ce qui fait grandir.

Dans notre quotidien, cela peut se traduire simplement :

– expliquer une méthode à un parent qui se sent dépassé,
– proposer un atelier ouvert à tous sans condition,
– diffuser gratuitement des ressources éducatives,
– ou simplement dire : “Tu peux y arriver, et je peux t’aider à comprendre comment.”

Car rendre un savoir accessible, c’est donner à quelqu’un le pouvoir d’éduquer avec confiance.
Et cela, à long terme, peut transformer bien plus que des écoles : ça transforme des vies.

Une Histoire de Partage (11) : l’école Korczak

📚 Et si, au cœur du pire, quelqu’un avait continué à faire l’école, comme un acte de résistance silencieux ?

Dans le ghetto de Varsovie, entre 1940 et 1942, alors que les privations, les violences et les déportations rythmaient le quotidien, Janusz Korczak – médecin, pédagogue, directeur d’orphelinat – a maintenu une école gratuite pour les enfants juifs, dans le respect total de leur dignité et de leur droit à apprendre.


👨‍🏫 Une pédagogie fondée sur la justice et la confiance

Janusz Korczak (1878–1942), de son vrai nom Henryk Goldszmit, était déjà connu en Pologne avant la guerre pour son travail éducatif novateur. Il dirigeait un orphelinat à Varsovie selon des principes pédagogiques avancés pour l’époque :
– écoute active de l’enfant,
– droit à l’erreur,
– conseils d’enfants élus pour régler les conflits,
– journal rédigé par les enfants eux-mêmes.

Lorsqu’en 1940 les nazis enferment des centaines de milliers de Juifs dans le ghetto de Varsovie, Korczak et son orphelinat y sont déplacés. Malgré des conditions inhumaines (faim, maladies, froid, persécutions), il continue à faire classe chaque jour.


📖 Une école dans l’ombre, mais rigoureuse

L’école clandestine de Korczak n’était pas improvisée. Elle s’appuyait sur une structure pédagogique stable, des routines quotidiennes, des apprentissages organisés.
Les enfants apprenaient à lire, écrire, compter, mais aussi à raisonner, discuter, réfléchir au bien et au mal. Ils participaient à des débats, lisaient des histoires, jouaient des pièces de théâtre.

Tout cela sans livres neufs, sans chauffage, sans sécurité. Mais avec exigence, patience et constance.

Pour Korczak, instruire un enfant, même dans un ghetto, c’était lui rappeler qu’il est un être humain à part entière. Que sa pensée a de la valeur. Que son avenir compte, même quand tout l’extérieur lui affirme le contraire.


🧭 Un projet peu connu du grand public, mais fondateur

L’orphelinat de Korczak a été liquidé en août 1942. Refusant d’abandonner les enfants, il les a accompagnés jusqu’au bout, jusqu’au camp d’extermination de Treblinka. Très peu d’entre eux ont survécu.

Mais ce projet éducatif mené sous la terreur reste aujourd’hui un symbole fort : celui de l’éducation comme résistance non violente, comme affirmation de la dignité humaine face à l’inhumanité.

Les écrits de Korczak, ses lettres, ses journaux pédagogiques, ses récits pour enfants, continuent d’être traduits, étudiés, enseignés dans le monde entier. Son école, bien que discrète et éphémère, a influencé de nombreux penseurs de l’éducation, y compris après-guerre.


💬 Une morale à vivre aujourd’hui

Dans un monde où l’école peut parfois sembler secondaire, où l’attention aux plus fragiles est vue comme un luxe, l’exemple de Janusz Korczak pose une question claire : qu’est-ce qu’on transmet vraiment à un enfant, même dans l’adversité ?

Il nous rappelle que :
– éduquer, ce n’est pas seulement transmettre des savoirs, c’est aussi reconnaître l’humanité de l’autre, même quand tout l’environnement cherche à l’effacer,
– et que protéger l’enfance, c’est protéger l’idée même de société.

Dans notre vie quotidienne, cela peut se traduire par :
– prendre le temps d’écouter un enfant sans l’interrompre,
– encourager la curiosité plutôt que l’obéissance,
– créer des espaces où chacun peut apprendre sans peur d’être jugé.

Maintenir une école dans un ghetto, c’était croire en la valeur d’un enfant quand plus personne ne voulait la voir. Aujourd’hui encore, cela témoigne du début d’une résistance essentielle.

Une Histoire de Partage (10) : la Trêve de Noël 1914

🎄 Et si, en pleine guerre, des ennemis avaient cessé de se tirer dessus… pour chanter ensemble ?

C’est ce qui s’est produit, par endroits, le 24 et 25 décembre 1914, lors de ce qu’on appelle aujourd’hui la Trêve de Noël. Alors que la Première Guerre mondiale venait de commencer quelques mois plus tôt, des soldats britanniques, allemands et parfois français ont spontanément interrompu les combats dans certains secteurs du front occidental, pour échanger quelques mots, partager du chocolat, du tabac, et même des chants de Noël.


📜 Un événement non prévu, non ordonné… mais bien réel

La Trêve de Noël 1914 n’a pas été décidée par les généraux. Elle n’a pas été négociée dans des bureaux. Elle est née localement, de façon improvisée, entre hommes épuisés par la guerre et proches des lignes adverses.

Les récits d’époque, issus de journaux de tranchée, de lettres de soldats et de témoignages militaires, confirment :

  • que des soldats allemands ont décoré leurs tranchées avec des bougies et des sapins, visibles depuis les lignes britanniques ;
  • que des chants de Noël ont été entonnés d’un camp à l’autre, parfois en plusieurs langues ;
  • que des hommes sont sortis de leurs tranchées, ont échangé du chocolat, des cigares, du café, du pain, et parfois même organisé des matchs de football improvisés dans le no man’s land.

⚖️ Une pause fragile, mais marquante

Tous les secteurs du front n’ont pas connu cette trêve. Elle fut partielle, brève et localisée, souvent limitée à quelques heures ou une journée. Dans certains endroits, les commandements ont immédiatement tenté de l’interrompre. À d’autres endroits, elle a été acceptée tacitement pendant quelques jours.

Mais sa portée symbolique a été considérable. Elle a montré que, même dans les pires conditions — boue, froid, peur, obéissance aux ordres… —, des hommes pouvaient reconnaître en face d’eux d’autres hommes, et non uniquement des ennemis.

Certains soldats ont refusé de tirer dans les jours qui ont suivi. D’autres ont échangé des adresses ou gardé des souvenirs. Cela n’a pas arrêté la guerre. Mais cela a laissé une trace.


🕊️ Une mémoire entretenue malgré la censure

Les états-majors, à l’époque, ont vu ces trêves d’un très mauvais œil. Ils craignaient que cela affaiblisse l’esprit de combat. Certaines lettres ont été censurées, certains soldats rappelés à l’ordre.

Mais les récits ont circulé. Et au fil des décennies, le souvenir de cette trêve est devenu un symbole mondial :

  • du refus spontané de la haine systématique,
  • de la possibilité de lien malgré les ordres,
  • d’une forme de lucidité humaine au cœur de l’absurde.

Des monuments, des films, des livres et des chansons y font aujourd’hui référence. Le football lui-même en a fait un emblème de paix dans les campagnes de sensibilisation.


💬 Une leçon simple à vivre encore aujourd’hui

La Trêve de Noël 1914 ne dit pas que la guerre est évitable à tout moment, ni que tout conflit peut se résoudre par une chanson. Mais elle nous enseigne une chose essentielle :
même dans les systèmes les plus violents, des individus peuvent choisir de désobéir à la logique de l’hostilité totale.

Et dans nos vies quotidiennes, cela se traduit ainsi :

  • refuser de réduire l’autre à son étiquette (opinion, camp, uniforme),
  • laisser place à un geste humain, même envers quelqu’un avec qui on est en désaccord,
  • interrompre un conflit personnel le temps d’un mot, d’un silence, ou d’un thé partagé.

Il ne s’agit pas d’ignorer les tensions. Il s’agit de rappeler que le lien humain reste possible, même fragile, même bref.

Et parfois, un chant dans le froid suffit à montrer qu’on est encore capable d’être humain — ensemble.