Archives mensuelles : septembre 2025

Une Histoire de Partage (16) : les cuisines collectives zapatistes

🍲 Et si, au milieu d’une insurrection armée, l’une des premières choses à organiser était… une cuisine ouverte et solidaire ?

Depuis 1994, au Chiapas, dans le sud du Mexique, les communautés zapatistes ont construit un modèle de résistance singulier. Face à l’injustice, à la pauvreté et à l’abandon de l’État, elles ont levé des armes — mais surtout, elles ont bâti des écoles, des cliniques et des espaces de repas communautaires.

Pendant les heurts comme pendant les périodes de calme, on y cuisine pour les familles et les insurgés ; lors des rencontres et événements, pour les visiteurs. Parce que résister commence aussi par nourrir.


📜 Un contexte de lutte sociale, pas seulement militaire

Le 1er janvier 1994, jour de l’entrée en vigueur de l’ALENA (accord de libre-échange entre le Mexique, les États-Unis et le Canada), l’EZLN — Ejército Zapatista de Liberación Nacional — occupe plusieurs villes du Chiapas. Ce soulèvement est porté en grande partie par des populations indigènes qui dénoncent des siècles de marginalisation et de violences économiques.

Très vite, au-delà de la confrontation militaire, le mouvement prend une tournure communautaire et constructive. Les zapatistes ne cherchent pas seulement à combattre un système : ils veulent en construire un autre, fondé sur l’autonomie, l’autogestion et la solidarité.


🍽️ Des cuisines comme structures de survie et d’organisation

À partir de 1994, les travaux collectifs — dont des cuisines/comedores et des espaces de repas — se consolident dans l’autonomie. Leur fonction est double :
– répondre à un besoin vital : nourrir les habitants et les insurgés dans un contexte souvent en rupture avec les circuits marchands classiques ;
– structurer l’organisation sociale : répartir les tâches, valoriser les savoirs culinaires locaux et renforcer l’égalité entre femmes et hommes.

Les repas sont préparés avec ce que les gens peuvent donner ou produire : maïs, haricots, légumes, pain, parfois viande. Chacun contribue selon ses moyens, et tout le monde mange. Selon les lieux et les moments, ces comedores servent gratuitement ou à contribution libre ; l’accès des visiteurs peut aussi varier en période d’alerte.

Ces cuisines ont également une portée politique : elles incarnent, au quotidien, l’idée d’un monde où la nourriture est un droit collectif, pas une simple marchandise.


🌍 Un impact au-delà des zones zapatistes

Avec le temps, l’expérience d’autonomie zapatiste a inspiré d’autres mouvements sociaux en Amérique latine et ailleurs. Les pratiques d’auto-organisation (écoles, santé, gouvernance locale — et parfois cantines) dialoguent avec une histoire plus vaste des comedores populares dans la région. Elles montrent qu’on peut bâtir des solidarités concrètes, y compris en dehors des institutions classiques.

Aujourd’hui, même hors période de conflit, ces espaces existent dans de nombreuses communautés comme lieux de vie, d’accueil et de transmission. Leur ouverture aux visiteurs peut toutefois évoluer selon le contexte et les orientations du mouvement, notamment depuis les réorganisations internes récentes.


💬 Une morale à vivre ici et maintenant

Ce que les zapatistes nous rappellent, c’est qu’il ne s’agit pas seulement de nourrir une lutte. C’est dans la manière dont on nourrit les gens que la société que l’on veut bâtir se révèle.

Dans notre quotidien, cela peut vouloir dire :
– cuisiner pour plusieurs, même quand on est peu ;
– ouvrir sa table à des inconnus sans chercher de contrepartie ;
– créer des espaces (cantines solidaires, repas partagés, distributions gratuites) où chacun peut manger sans honte ni justification.

Partager la nourriture, ce n’est pas faire l’aumône. C’est poser un cadre où la dignité est préservée, même dans les moments difficiles.
Et c’est peut-être là l’un des gestes les plus puissants pour résister au monde de l’exclusion.

Une Histoire de Partage (15) : l’instruction gratuite en France (loi Ferry 1881)

📘 Et si un jour, on avait décidé que le savoir ne devait plus dépendre de l’argent des parents ?

En 1881, la France adopte une loi qui change profondément son avenir : l’instruction primaire devient gratuite pour tous les enfants. Initiée par le ministre Jules Ferry, cette mesure marque un tournant majeur dans l’histoire de l’éducation : elle affirme pour la première fois que le savoir est un droit commun, et non un privilège réservé à quelques-uns.


🏫 Une réforme pensée pour réduire les inégalités

Jusqu’alors, aller à l’école impliquait souvent de payer : pour l’inscription, les fournitures, parfois même pour l’enseignement. Cela excluait une grande partie des enfants, en particulier dans les familles paysannes et ouvrières.

Avec la loi du 16 juin 1881, l’enseignement primaire public devient gratuit (suppression des droits de scolarité), même si les familles doivent encore souvent payer fournitures et manuels.

L’année suivante (28 mars 1882), l’école primaire publique devient obligatoire de 6 à 13 ans et l’enseignement est laïc (religion remplacée par l’instruction morale et civique). La laïcisation du personnel sera achevée par la loi Goblet de 1886.

Le but de cette réforme est double :
– former des citoyens éclairés dans une République jeune et encore fragile,
– lutter contre les inégalités sociales, en offrant les mêmes bases à tous les enfants, qu’ils soient riches ou pauvres, urbains ou ruraux.


📖 Une mesure ambitieuse, qui transforme la société

La mise en œuvre de la gratuité ne s’est pas faite sans résistance. Elle a nécessité :
– la création massive d’écoles, y compris dans les villages isolés (cette expansion était déjà amorcée au XIXe siècle)
– la formation d’instituteurs et d’institutrices, appelés plus tard « hussards noirs de la République »,
– des programmes communs, centrés sur la lecture, l’écriture, le calcul, l’histoire, la morale civique.

Peu à peu, la réforme porte ses fruits :
– les taux d’alphabétisation augmentent rapidement,
– les enfants de familles modestes accèdent à des parcours éducatifs nouveaux,
– l’école devient un lieu central dans la vie des communes et des familles.


🌍 Une influence au-delà de la France

Le principe d’instruction gratuite, obligatoire et laïque a inspiré d’autres pays, notamment en Europe et en Amérique latine. Il a contribué à faire de l’éducation un pilier des politiques publiques modernes, fondé sur l’idée que l’apprentissage ne doit pas dépendre du revenu des parents.

Ce modèle est à la base de nombreuses Constitutions, et alimente encore aujourd’hui les débats sur la gratuité de l’université, des manuels scolaires, ou des cantines.


💬 Une idée à faire vivre chaque jour

La loi Ferry nous rappelle une vérité simple :
l’accès au savoir est l’une des clés les plus puissantes pour lutter contre les inégalités.
Et que pour qu’il soit réel, il doit être garanti, protégé et transmis à toutes et à tous, dès le plus jeune âge.

Dans la vie quotidienne, cela peut se traduire par :
– aider un enfant en difficulté, sans jugement,
– partager une ressource éducative, même modeste,
– défendre l’école publique comme un lieu commun et non un service réservé,
– refuser l’idée que seuls ceux qui peuvent payer auraient droit à un bon enseignement.

Rendre le savoir accessible, ce n’est pas juste offrir des cours gratuits. C’est reconnaître que chaque esprit mérite de se développer, sans condition.

Et c’est peut-être cela, aujourd’hui encore, le sens profond de la loi de 1881 :
📚 rendre la connaissance disponible à tous, c’est rendre la société plus juste pour chacun.

Une Histoire de Partage (14) : l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert

📘 Et si, au XVIIIe siècle, diffuser le savoir avait été un acte politique ?

C’est ce qu’ont tenté Diderot et d’Alembert avec l’Encyclopédie, un projet inédit dans l’Europe des Lumières : mettre à la disposition du plus grand nombre les connaissances disponibles de leur temps, dans tous les domaines, sans distinction entre les savoirs “nobles” (sciences, philosophie) et les savoirs “pratiques” (métiers, techniques artisanales).


📚 Un projet monumental, pensé pour être utile à tous

L’Encyclopédie, dont le titre complet est Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, paraît entre 1751 et 1772, en 28 volumes. Elle rassemble plus de 70 000 articles, rédigés par environ 150 contributeurs, dont des figures comme Rousseau, Voltaire ou Turgot.

Contrairement aux ouvrages réservés aux savants ou aux clercs, l’Encyclopédie adopte un ton pédagogique et descriptif. Elle propose :

  • des définitions claires,
  • des schémas techniques détaillés,
  • des descriptions d’outils et de gestes manuels,
  • des raisonnements scientifiques fondés sur l’observation.

Elle valorise autant l’horloger que le mathématicien, autant le cultivateur que le philosophe.


⚙️ Une volonté explicite de démocratiser la connaissance

À une époque où l’accès à la lecture est encore limité et où l’enseignement reste réservé aux élites, le projet de l’Encyclopédie repose sur une idée simple et radicale :

le savoir ne doit pas être réservé à une minorité. Il appartient à tous.

Pour les encyclopédistes, la connaissance est un outil d’émancipation. Elle permet à chacun :

  • de comprendre le monde,
  • de questionner les autorités,
  • et de participer à la transformation de la société.

Cela explique pourquoi le projet a été plusieurs fois censuré par le pouvoir royal et par l’Église. L’idée qu’un artisan puisse lire un article sur l’astronomie ou qu’un commerçant puisse accéder à une critique de l’intolérance religieuse inquiétait les autorités.


🌍 Un héritage encore visible aujourd’hui

L’Encyclopédie a marqué un tournant dans l’histoire de l’imprimerie, de la diffusion du savoir, et de la pensée critique. Elle a :

  • nourri les débats pré-révolutionnaires,
  • posé les bases du rationalisme moderne,
  • influencé l’organisation des savoirs dans les systèmes éducatifs occidentaux,
  • et ouvert la voie à d’autres entreprises éditoriales comme les dictionnaires grand public et, plus tard, les encyclopédies numériques.

Mais son objectif initial reste d’une grande actualité : rendre la connaissance libre, compréhensible, et partageable.


💬 Une morale pour aujourd’hui

Dans un monde saturé d’informations, mais où l’accès à une connaissance fiable reste inégal, l’Encyclopédie nous rappelle une chose fondamentale :
le savoir ne vaut que s’il circule.

Cela peut s’appliquer à chacun :

  • partager ce qu’on sait avec clarté, sans jargon,
  • expliquer au lieu de se moquer,
  • publier des ressources utiles sans les enfermer derrière des barrières idéologiques,
  • valoriser les savoir-faire, quels qu’ils soient, sans hiérarchie arbitraire.

Quand on prend le temps d’expliquer à quelqu’un ce qu’on sait, on prolonge l’esprit de l’Encyclopédie.
Et même à petite échelle, on contribue à une société plus juste et éclairée, parce que mieux informée.