Il y a des jours où j’ai vraiment l’impression de vivre sur un grand plateau d’échecs. Ce n’est pas un jeu auquel j’ai choisi de participer, et pourtant j’y suis. Un jeu sérieux, complexe, où chaque coup engage quelque chose de profond. Où chaque mouvement, chaque hésitation, peut faire gagner ou perdre un peu de liberté intérieure.
Et face à moi, un adversaire tenace, insaisissable, que je finis par appeler la fatalité.
Elle prend mille visages : les épreuves, les injustices, la perte, la maladie, la solitude, le sentiment d’impuissance. Rien que des réalités humaines, universelles, mais qui freinent parfois l’élan de vivre.
Alors, pour ne pas me laisser submerger, j’ai décidé de jouer du mieux que je peux, à la manière d’un joueur d’échecs. De penser chaque action selon trois logiques complémentaires :
- une stratégie à long terme,
- des positions solides à moyen terme,
- des tactiques efficaces à court terme.
🎯 Les coups stratégiques : parier sur un avenir plus vaste
En stratégie, il faut savoir perdre quelque chose pour espérer gagner mieux, plus tard. C’est exactement ce que j’ai fait en m’engageant dans le projet Zone de Partage.
Ce projet, je le porte avec passion : créer des lieux publics où les habitants peuvent déposer et emporter des créations (textes, poèmes, dessins, récits…), avec un principe simple : qui prend un cadeau, envoie une réponse.
Ce choix a impliqué de mettre ma vie professionnelle classique au second plan. C’est un risque. Mais j’ai le sentiment que ce sacrifice temporaire pourrait me conduire, dans quelques années, à une vie bien plus féconde — faite de rencontres inattendues, de créations collectives, et surtout d’un engagement qui a du sens.
Comme aux échecs, j’ai « sacrifié une pièce » (la stabilité professionnelle) pour tenter de créer une ouverture, un futur plus vaste. Pas pour dominer, mais pour ouvrir le jeu vers des terrains de vie plus riches.
🧱 Les coups positionnels : construire l’équilibre, pas à pas
À moyen terme, ce sont les coups positionnels qui comptent. Ce sont eux qui donnent de la structure au projet.
Aux échecs, un coup positionnel consiste à placer ses pièces sur des cases clés, sans nécessairement attaquer tout de suite. On se prépare. On se rend plus mobile, plus adaptable.
C’est exactement ce que je fais aujourd’hui en travaillant sur les premières Zones de Partage concrètes. Ces étagères publiques sont comme des Tours que je place sur l’échiquier du monde. Je les positionne dans des lieux accessibles, propices à l’échange.
En langage d’échecs, je cherche les colonnes ouvertes : des axes libres sur le plateau, dépourvus de pions, qui offrent à mes Tours un maximum d’amplitude. Dans la vie réelle, cela correspond à des espaces urbains ou sociaux encore disponibles, encore ouverts à la surprise, à l’expérience collective.
En prenant ces positions, je ne sais pas encore tous les coups qui suivront. Mais je prépare le terrain. Et je sais que ces pièces installées intelligemment peuvent soutenir les coups futurs, éviter les blocages, donner de la stabilité au projet.
✍️ Les coups tactiques : chaque geste compte
Puis, il y a les petits coups. Les tactiques du quotidien.
Ce sont ceux qui, aux échecs, permettent de gagner une pièce, de déjouer un piège ou de créer une opportunité immédiate.
Dans ma vie, ce sont les mails bien rédigés. La présentation claire d’un dossier. L’affiche bien pensée. Le message qui touche. Le mot juste lors d’une réunion. Le choix du bon moment pour relancer un contact.
Ce sont de petits gestes, mais chacun d’eux déplace un pion, ouvre une ligne, gagne une case de liberté ou évite un danger immédiat.
Et c’est cette série de petites victoires tactiques qui rend possible l’aboutissement de la stratégie.
Rien de spectaculaire. Mais c’est souvent là que se joue la différence entre immobilisme et mouvement. Chaque coup tactique réussi m’aide à rester dans la partie.
♟️ Vivre en trois dimensions : une métaphore pour tenir bon
En regardant la vie comme une partie d’échecs, j’arrive à mieux la penser, à ne pas me noyer dans les émotions.
Il y a des jours où je ne fais que survivre tactiquement, en tenant bon. D’autres où je peux bâtir un peu plus. Et parfois, je retrouve la vision d’ensemble, la stratégie globale.
Ces trois niveaux sont indissociables :
- Sans stratégie, on s’agite sans direction.
- Sans position solide, on s’écroule à la moindre difficulté.
- Sans tactique, même le plus beau projet reste une idée abstraite.
C’est cette vision à plusieurs étages qui m’aide à ne pas me laisser piéger par la fatalité. À me dire que chaque erreur peut être rattrapée, chaque recul peut être suivi d’un meilleur coup.
🌱 Mon jeu s’ouvre
Il m’arrive encore de faire de mauvais choix. De placer mal une pièce. D’anticiper à l’envers. D’avoir l’impression que la fatalité reprend l’avantage.
Mais ces derniers temps, j’ai l’intuition que le jeu s’ouvre. Que mes choix commencent à porter leurs fruits. Que les Zones de Partage intéressent, inspirent, fédèrent.
Alors je continue à jouer. Pas pour gagner une partie, mais pour créer des espaces vivants dans un monde trop souvent figé.
Et si, toi aussi, tu ressens cette envie d’ouvrir le jeu de ta propre vie… Alors nous sommes faits pour nous comprendre !