En discutant récemment avec une animatrice en milieu hospitalier à propos du projet des Zones de Partage, une question subtile mais fondamentale a émergé : faut-il privilégier les œuvres originales ou des copies (photocopies ou impressions) à déposer dans les étagères ?
Ce questionnement, en apparence technique, ouvre en réalité un vaste champ de réflexion sur la nature du don, la valeur de la création, l’intimité de l’échange… et la logistique. Il mérite d’être traité avec soin, car le choix entre original et reproduction n’est pas neutre.
Surtout dans le cadre d’un projet où une règle centrale change la donne :
« Qui prend un cadeau, envoie une réponse. »
Dans cette optique, l’œuvre déposée n’est pas anonyme. Elle appelle un retour. Un dialogue. Et cette relation change profondément la manière dont on perçoit ce qu’on offre… et ce qu’on reçoit.
Les avantages d’offrir une œuvre originale
L’œuvre originale a une présence. Une matière. Elle porte la trace directe du geste créatif, qu’il s’agisse d’un dessin à l’encre, d’un poème écrit à la main, d’un collage, d’une photographie développée manuellement, ou même d’une sculpture !
Pourquoi cela peut être une belle idée :
- L’effet de surprise et d’émotion : recevoir une œuvre unique, authentique, a souvent un impact émotionnel fort. On sent que l’auteur ou l’autrice a investi du temps, de l’énergie, une part de lui-même ou d’elle-même.
- La valeur symbolique : le fait que l’œuvre ne soit pas duplicable rend le geste profondément généreux. C’est un don rare, désintéressé, qui peut créer une reconnaissance immédiate.
- Un appel plus fort à répondre : sachant que l’on tient entre ses mains une création originale, le destinataire peut ressentir une responsabilité émotionnelle accrue à honorer le pacte de la Zone de Partage : celui d’écrire une réponse, de dire merci, de continuer le fil.
Mais cette option n’est pas sans limites.
Les inconvénients d’offrir une œuvre originale
- C’est coûteux en temps et en effort. Chaque pièce demandera à l’auteur un nouvel engagement. Cela peut freiner la régularité ou la quantité des contributions.
- Le risque de perte ou de non-retour : que se passe-t-il si l’œuvre est prise, mais que le bénéficiaire ne répond jamais ? Le lien est rompu, et l’auteur peut être blessé. L’original a disparu sans laisser de trace, ce qui peut représenter une perte émotionnelle énorme.
- La crainte de se dévoiler trop intimement : pour beaucoup, offrir un original, c’est comme donner un morceau de soi-même. Si cela tombe entre de « mauvaises mains », ou est mal compris, cela peut générer une forme de malaise ou de découragement.
Les avantages de déposer une photocopie ou une impression
À l’inverse, déposer une reproduction, c’est alléger la charge émotionnelle et matérielle du don.
- C’est plus simple à produire : une œuvre numérique ou scannée peut être imprimée en plusieurs exemplaires. Cela permet aux artistes de participer régulièrement, sans s’épuiser à recréer à chaque fois.
- Cela facilite la diffusion : si une œuvre est bien reçue, on peut en laisser plusieurs copies, qui voyageront entre plusieurs mains. L’impact est multiplié.
- Cela protège l’original : on garde chez soi la trace de ce que l’on a produit. Même si le document est abîmé ou ne reçoit aucune réponse, l’artiste n’a pas perdu son unique création.
Mais là encore, cette solution n’est pas parfaite.
Les inconvénients des copies
- L’effet émotionnel peut être moindre : certains visiteurs peuvent ressentir moins d’engagement face à une impression, aussi belle soit-elle. Cela peut rendre la promesse de réponse plus fragile.
- Cela dilue l’impact de l’échange : si l’on a pris une copie, on peut se dire qu’elle a été laissée “en série”, un peu comme un flyer artistique, et le lien personnel avec l’auteur peut sembler moins direct.
- Cela peut interroger la sincérité du geste : est-ce encore un don ? Ou simplement une diffusion ? L’aspect relationnel du projet pourrait en pâtir si trop de documents sont perçus comme impersonnels.
Trois pistes pour sortir de ce dilemme
Plutôt que d’imposer une règle stricte, il serait peut-être plus pertinent d’explorer des formes souples et intelligentes d’adaptation. Voici trois pistes possibles, parmi d’autres :
1. Laisser le choix à l’auteur
Chaque participant pourrait être libre de choisir entre offrir un original ou une reproduction, en fonction de son envie, de son énergie, de la valeur symbolique qu’il accorde à sa création.
➡️ Dans ce cas, il faudrait simplement indiquer sur le document : “Original” ou “Copie”, pour que le destinataire sache quelle forme de don s’instaure.
2. Proposer un lieu pour conserver les originaux
L’auteur peut déposer des copies, tout en sachant que le document original serait conservé dans une “collection d’archives” de la Zone de Partage.
➡️ Cela permettrait à la fois une diffusion large et une préservation de la mémoire du projet.
3. Réserver les originaux lors des vernissages d’exposition
On pourrait encourager les originaux à être offerts lors de vernissages, en présence des auteurs, où l’échange est plus direct et la reconnaissance immédiate.
➡️ Cela valoriserait le geste sans exposer l’auteur au risque de non-retour.
Conclusion : un équilibre à inventer collectivement
Ce débat entre originalité et reproductibilité n’est pas seulement technique. Il est surtout profondément humain. Il engage notre rapport à la création, à l’engagement émotionnel, à la reconnaissance, à la peur de la perte et à l’élan du don.
Je ne prétends pas avoir la réponse. Ce qui est certain, c’est que cette question mérite d’être discutée au sein du futur collectif qui animera la Zone de Partage. Elle ne doit pas être tranchée seul, car chaque participant aura son propre rapport à ce qu’il donne et à ce qu’il reçoit.
💡 Ce blog sert aussi à cela : poser les questions, faire émerger les tensions fertiles, et chercher ensemble des formes ajustées, souples et respectueuses de chacun.
Et vous, que donneriez-vous dans une Zone de Partage ? Un original ? Une copie ? Ou les deux ?